Jeu du chat et de la souris à travers les siècles
La contrefaçon est l’art de contourner les nouveaux éléments de sécurité des billets de banque. L’impression de produits fiduciaires est celui d’aller au-devant des menaces de contrefaçon et d’y réagir. C’est une rivalité depuis des siècles, où tous les coups sont permis et qui s’incarne dans chaque aspect des billets de banque.
Les faussaires dans la mire

Les premières formes de papier-monnaie ont été créées pour se substituer à de grandes quantités de pièces de monnaie, difficiles à transporter. Faisant davantage office de reçu que de billet de banque, ce document représentait 1 000 pièces de cuivre.
Source : 1 kwan, dynastie Ming, Chine, 1368–1399| NCC 1963.48.39
Au 14e siècle, la dynastie Ming en Chine a émis une des premières formes de papier-monnaie. Mais les bureaucrates de l’empereur n’étaient pas dupes. Ils savaient que les criminels ne perdraient pas de temps à tenter de créer des imitations. C’est pourquoi un avertissement était inscrit sur chaque billet :
Toute personne qui utilise un faux billet sera exécutée. Les informateurs obtiendront en récompense 250 liǎng d’argent et toutes les possessions du criminel. »
On ne sait pas si cet avertissement a vraiment eu un effet dissuasif, mais on peut présumer qu’il n’y a pas eu de récidivistes. Le papier-monnaie a réapparu çà et là pendant quelques centaines d’années avant de s’installer pour de bon dans les économies occidentales au 18e siècle.
Le 19e siècle : le terrain de jeu des faussaires
Le secteur bancaire était en plein essor en Amérique du Nord au début du 19e siècle, et il n’était soumis à pratiquement aucune réglementation. Ça a donc été un véritable âge d’or pour la contrefaçon et, par nécessité, pour les progrès dans le domaine de l’impression de produits fiduciaires.
Les sociétés d’impression de produits fiduciaires ont employé diverses méthodes pour déjouer les faussaires : papier de haute qualité, pastilles de couleur (planchettes) et filigranes. Quand les fraudeurs ont commencé à reproduire les billets au moyen de procédés photographiques, les sociétés d’impression ont réagi en utilisant des encres de couleur. Les faussaires se sont ensuite mis à retirer l’encre de couleur des vrais billets afin d’en reproduire les parties noires à l’aide de procédés photographiques, pour ensuite ajouter les parties colorées par une autre méthode. Cet affrontement a mené à l’impression de billets avec une encre verte presque impossible à retirer – c’est ainsi qu’est né le billet vert américain, le fameux « greenback ».
Les gravures de grande qualité demeuraient toutefois une arme essentielle des sociétés d’impression de produits fiduciaires, l’élément de sécurité par excellence. C’était l’avis de Sir Isaac Newton (découvreur de la loi universelle de la gravitation), qui a été directeur de la Monnaie royale de Londres pendant près de 30 ans. Il disait notamment que « une bonne gravure reste la meilleure sécurité ». Cependant, on comptait beaucoup d’habiles graveurs au 19e siècle, et ils n’étaient pas tous honnêtes.

Gravure en taille-douce simplifiée : L’artiste gravait à la main un motif inversé sur une plaque de métal, qui était ensuite recouverte d’encre puis essuyée afin que l’encre reste seulement dans les incisions. Il pressait ensuite la plaque sur du papier, ce qui donnait une impression en relief perceptible au toucher.
Source : 1 écu, plaque d’impression, Cuvillier & Fils, Canada, 1837 | NCC 1974.263.7

Ce billet contrefait a été produit par le maître faussaire Edwin Johnson. Ses talents de graveur égalaient ou surpassaient ceux des graveurs légitimes de son époque.
Source : faux billet de 4 dollars, Banque Dominion, Canada 1871 | NCC 1967.50.2
Les guillochis : le meilleur atout des sociétés d’impression
Le trait caractéristique des vieux billets de banque est aussi ce qui les protégeait : les guillochis. Ils étaient produits par un appareil appelé « tour à guillocher », qui permettait de créer des motifs géométriques semblables à ceux d’un spirographe, mais beaucoup plus complexes, en faisant tourner et basculer en continu une plaque de métal appuyée sur un outil de coupe d’une manière légèrement différente à chaque mouvement. Reproduire un guillochis avec une autre machine (ou même avec la même machine) est presque impossible, à moins de la faire à la main – un défi de taille.
La fin du 20e siècle : l’heure de gloire de l’innovation
Après la poussée au 19e siècle, l’innovation a connu un ralentissement. Pour les trois premières séries de billets de la Banque du Canada, la protection contre la contrefaçon reposait en grande partie sur le simple fait de concevoir de nouveaux billets. Mais au tournant des années 1960, la contrefaçon était redevenue un sérieux problème. Le moment était venu d’innover – et d’afficher ses couleurs.
En 1970, un extraordinaire billet canadien de 20 $ a fait son apparition. Il comportait de multiples nuances de vert rejoignant un dégradé magenta. Les armoiries affichaient des couleurs vives, des motifs complexes occupaient les espaces vides, et des guillochis extravagants encerclaient et enveloppaient le montant des coupures. Ce billet se distinguait tellement des précédents que certains ont douté de son authenticité.

Durant la vingtaine d’années qui sépare ces deux billets (de 1937 à 1954), les principes de conception ont changé du tout au tout. Pourtant, outre le nouveau papier utilisé, les éléments de sécurité étaient pratiquement les mêmes.
Source : 2 dollars, Canada, 1954 | NCC 1967.44.2 2 dollars, Canada, 1937 | NCC 1965.136.6584

Le subtil dégradé de couleurs ne pouvait être fait facilement qu’au moyen de la lithographie. Ce billet a marqué le début de l’usage généralisé de ce procédé d’impression par la Banque du Canada.
Source : 20 dollars, Canada, 1969 | NCC 1970.166.1
Si des couleurs saisissantes ont été choisies pour les billets de la série Scènes du Canada, c’était spécifiquement pour contrer les menaces de contrefaçon. Les billets simples et monochromes étant faciles à imiter, on croyait qu’on arriverait à couper l’herbe sous le pied des faussaires avec des billets comportant beaucoup de détails et des couleurs vives. Ça a fonctionné, mais pas très longtemps. Un nouvel outil de contrefaçon dangereux permettant de reproduire rapidement ces éléments de sécurité était sur le point de s’ajouter à leur arsenal : le photocopieur couleur. Avant même d’avoir émis tous les billets prévus de la série Scènes du Canada, la Banque a donc commencé à envisager une nouvelle approche. Elle voulait aller au-devant des menaces planant sur l’impression de produits fiduciaires, pas seulement y réagir.

Le Canada n’est pas le seul pays à avoir opté pour des billets multicolores. Plusieurs sont apparus un peu partout dans le monde vers la fin des années 1960. Les billets des Pays-Bas, notamment, ont été très colorés jusqu’à ce que l’euro soit lancé en 1999.
Source : 5 florins, 25 florins, Pays-Bas, 1971 | NCC 1972.296.2 NCC 1976.116.17
Un retour à la simplicité
Étrangement, pour réagir à l’avènement des technologies d’imagerie modernes, c’est un retour à la simplicité des billets de la série de 1954 qui a été privilégié. En effet, croyant qu’il serait difficile de déceler les imperfections des billets aux motifs complexes et élaborés reproduits par reprographie, on a plutôt opté pour une conception simple et dépouillée. Les espaces en apparence vides étaient toutefois remplis de microcaractères – des lettres et des lignes –, un tout nouvel élément de sécurité. Les lignes fines et rapprochées étaient la clé : elles donnaient l’impression qu’il s’agissait d’un espace vide et ombragé, mais après la numérisation ou la photocopie du billet, elles se transformaient en d’étranges formes ondulées appelées « motifs moirés ».
De nouvelles astuces
La série Les oiseaux du Canada a également été la première dans le monde à intégrer une vignette de sûreté – une pastille métallique qui change de couleur lorsqu’on incline le billet et qui ne peut être reproduite à l’aide d’aucun processus d’imagerie. Une technologie semblable a été utilisée plus tard pour les billets de la série L'épopée canadienne, sous la forme d’une bande métallique élégante dont la couleur change quand le billet est incliné. Cette bande est plus sophistiquée et plus jolie que la vignette.

Le billet original de 5 $ de la série L’épopée canadienne a été émis en 2002 et est devenu populaire auprès des faussaires. Après qu’il a été réémis en y intégrant la bande métallique en 2006, ce billet n’a pratiquement plus été contrefait.
Source : 5 dollars, Canada, 2002 | NCC 2005.82.5 5 dollars, Canada, 2006 | NCC 2009.9.2
Les billets de la série L’épopée canadienne regorgeaient d’éléments anticontrefaçon. Des fils étaient intégrés au hasard un peu partout dans le papier et des images fantômes des portraits se cachaient dans les espaces en apparence vides. Pratiquement chaque centimètre d’espace sans image était couvert de microcaractères et de motifs. Un élément était visible uniquement en plaçant le billet sous une lumière ultraviolette. Enfin, un insolite chiffre en morceaux était imprimé de chaque côté du billet. Lorsque ce dernier était tenu devant une source de lumière vive, les motifs irréguliers figurant au recto et au verso formaient un chiffre complet s’ils étaient parfaitement alignés – un élément quasi impossible à reproduire pour la plupart des faussaires.
Le 21e siècle : l’ère des technologies numériques
Qu’en est-il des numériseurs modernes et des logiciels d’édition d’images? Le Groupe de dissuasion de la contrefaçon des banques centrales est un organisme international qui a mis au point un système – adopté par les producteurs de logiciels partout – visant à empêcher la reproduction numérique illicite de billets de banque. Ainsi, toute tentative de numériser un billet canadien sera contrée par le système, qui détectera le billet et empêchera sa numérisation. Et si une personne tente de faire la même chose à l’aide d’un logiciel d’édition d’images comme Photoshop, celui-ci détectera qu’il s’agit d’un billet canadien et empêchera même l’ouverture du fichier de l’image.
Le plastique remplace le papier
La Banque de réserve d’Australie était la première au monde à présenter les billets de banque en polymère en 1988. Avec leurs bandes transparentes et leurs couleurs vives, ces billets ont fait sensation! Le Canada a emboîté le pas en 2011. Durable et recyclable, le polymère lui-même est également un outil anticontrefaçon. Il requiert l’utilisation d’encres et revêtements spéciaux qu’il est pratiquement impossible pour un faussaire de se procurer. En plus du support d’impression, nos billets actuels comportent autant d’éléments de sécurité que les séries précédentes.

Les faussaires recréent parfois la bande transparente à l’aide d’un matériau différent de celui qu’ils utilisent pour le reste du billet et les lient ensemble. Si vous sentez une transition entre la bande transparente et la partie opaque, il s’agit d’un faux billet.
Source : 100 dollars, Canada, 2011 | NCC 2012.68.2
Un billet contrefait ou pas?
Voici quatre façons de vérifier l’authenticité d’un billet de banque canadien :
- Examinez la bande transparente : Est-ce que les petits chiffres correspondent à la valeur du billet? Le portrait qui s’y trouve est-il identique au portrait principal?
- Inclinez le billet : Les images dans la bande transparente changent-elles de couleurs?
- Passez vos doigts sur le portrait principal : Sentez-vous l’encre en relief?
- Tenez le billet près de votre œil, vis-à-vis de la feuille d’érable givrée, et regardez une source de lumière concentrée sans danger pour la vue : Voyez-vous les minuscules chiffres?
Si vous avez répondu non à l’une de ces questions, communiquez avec votre service de police ou votre banque. N’utilisez pas le billet pour faire un achat!
Des statistiques qui parlent d’elles-mêmes
Depuis le lancement des séries L’épopée canadienne et Frontières, la contrefaçon est devenue quasi inexistante. Dans le cas d’une coupure entre autres, le nombre de faux billets trouvés en circulation, qui avait déjà dépassé 300 000 en un an, a chuté pour se retrouver dans les deux chiffres seulement. Consultez le tableau interactif de statistiques sur les billets contrefaits, publié par la Banque du Canada.

Encore aujourd’hui, les faussaires ont de la difficulté à imiter fidèlement l’impression en taille-douce, vieille de plusieurs siècles. Le billet vertical de 10 $, même s’il comporte de nombreuses innovations modernes, comprend également certains éléments gravés, comme le portrait.
Source : 10 dollars, Canada, 2018 | NCC 2018.75.1
Comment se dessine l’avenir?
Nous ne pouvons évidemment pas donner de détails sur les innovations que la Banque du Canada examine. Une équipe d’ingénieurs, de chimistes et d’autres spécialistes met constamment à l’essai de nouveaux éléments de sécurité. Mais personne ne travaille en vase clos de nos jours : les nouvelles idées et technologies sont mises en commun de façon collaborative à l’échelle mondiale pour aller au-devant des menaces et y réagir.
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